Si le froid glacial de Vladivostok lui semble insupportable et qu’il n’y voit là qu’une promesse d’un enfer froid sur terre, de son propre goulag, on lui dit, au fil des échanges, qu’une ville bien plus froide existait en Russie. Norilsk, à plus de 3816 kilomètres, au nord du territoire de Krasnoïarsk, près de l’océan Arctique. Il ne sait pas si cela le rassure mais l’immensité de ce pays lui fait prendre conscience que finalement il n’est pas grand-chose. Un point minuscule, insignifiant sur une carte, dans l’histoire et dans la vie des personnes croisées dans ce monde. Croire autre chose est une forme d’arrogance. A force de se draper dans sa propre vérité, on finit par se convaincre que nous sommes Vérité. La vérité parfois aveugle, la miséricorde souvent éclaire.
Et c’est par miséricorde qu’il s’est éloigné du monde des vivants pour se perdre et se retrouver dans les immensités d’une nature. Certes hostile, dure, froide mais terriblement juste et sincère. Il ne peut, il n’a pas le droit de juger ni cette nature et encore moins cette ville. Il se doit de dépasser, de transcender, de se libérer du jugement des autres qui la qualifient hâtivement de la plus polluée de Russie et de l’une des plus froides au monde. Au point même que les étrangers ne peuvent y entrer que sur invitation spéciale.
Bien sûr, de par les livres bien-pensants et les échanges avec les autochtones, ces «enfants» du pays, on lui a dit de se méfier de cette ville. On y arrive pas par hasard et on n’en sort pas indemne. Peut-être était-ce lié à ce qu’ils nommaient la ville aux deux visages. D’un côté, une face lumineuse d’une ville riche et minière. Une ville où les habitants jouissent d’un certain confort pour ne pas dire luxe. Une ville où les habitants considérés comme éduqués, cultivés et progressistes disposent d’universités, de théâtres de bibliothèques et de musées.
De l’autre une face plus sombre qui se résume à cette phrase d’un vieux retraité d’une fonderie: « Cette ville, que du sable et de la fumée toxique ! ». La toundra a depuis longtemps laissé place à des paysages lunaires. Peut-être que l’absence de Soleil fait de la Lune qu’un amas de roches froides et stériles. L’extraction sans vergognes des ressources naturelles, par cupidité ou pour assouvir désirs et passions humaines, s’accompagne le plus souvent d’émissions toxiques massives. Nous avons beau lire, écrire, chanter, danser, philosopher, nous finissons toujours par trahir Dieu, la nature et l’innocence de nos enfants. Dorénavant, il Norilsk complète sa liste des endroits du monde où il pleure seul. Ces lieux où l’homme s’est pris pour Dieu, où l’homme a troqué l’Ammour et la miséricorde contre sa vérité, c’est lieu sans Dieu : Hiroshima, Sabra et Chatila, Sodome et Gomorrhe, Tchernobyl, Auschwitz, Palmyre et tant d’autres.