Il aimme à se retrouver parmi eux. Sages, immobiles, ils sont les témoins, souvent silencieux de nos folies destructrices comme de nos fulgurances ammoureuses. Leur histoire se confond avec l’histoire de notre seule et unique Terre. Ils supportent nos désirs d’horizon et notre soif de toucher le ciel. Ils soutiennent nos temples et nos foyers. Ils sont là. Nous les croyons muets.
Illusion de notre orgueil qui nous rend sourd à leurs appels. Seul sonorité audible, celle de la monnaie sonnante et trébuchante de leur commerce. Tout se commerce dans ce monde. Le vivant et même le mort. Tout se commerce puisque finalement peu de choses ont de la valeur.
Ils sont le point de jonction entre le noyau du monde et les alvéoles de notre intime. Sans eux, serions-nous là ? Sans eux, ces seigneurs du règne végétal, serions-nous même dans le règne animal ? Sans eux, où serions-nous ? que serions-nous ? Un amas de pierre inerte, de boue séchée, de charbon inutile ?
Leur cœur renferme toute la sagesse des années passées et leur tête toute la naïveté de la jeunesse. Cette naïveté qui découvre le monde à chaque floraison, à chaque bourgeonnement, après chaque pluie, à chaque goutte, à chaque arc-en-ciel. Autre miracle géométrique de la nature. La vie est une équation où sa complexité n’a que d’égale que sa beauté. Peut-être là, la définition du terme harmonie. Le beau qui échappe à la raison. Oui, la beauté ne se décrète pas. Elle ne se construit pas non plus. Elle est. Il suffit de poser son cœur à ses souliers, de se baisser et de boire de la Source.
Il n’y a pas d’arbres morts. Debout, de leur cime à leurs racines, ils nous protègent, nous nourrissent, nous maintiennent en vie, nous émerveillent. Déracinés, mis à nu, dépouillés, ils nous abritent, nous réchauffent, nous fertilisent, deviennent témoins de nos écrits ou nous font voyager dans le monde ou l’au-delà. Comment parler d’arbres morts alors qu’à chaque étape de leurs vies, ils nous témoignent de leur utilité, de leur apport, de leur ammour ? Vraiment, il n’y a que l’ingratitude de l’homme qui refuse de le témoigner. Cette ingratitude, cachée sous les vêtements de de la supériorité intellectuelle qui amène le monde à sa fin et l’humain à son jugement final.
Tous les arbres sont beaux. Chacun est à sa place. Chacun est là où il est le plus utile aux autres. Il refuse de les classifier, de les ordonnancer, de les hiérarchiser. De choisir parmi les arbres nourriciers ou les arbres d’agréments. Comment choisir entre le caroubier, l’olivier, l’oranger, le chêne, le noisetier, le pêcher, l’amandier, l’orme, le platane, l’eucalyptus, le cyprès, le saule ou le pin ?
Comment ne pas voir en ces arbres, la généalogie de nos vies, de sa vie. Regardez donc ces ramifications, une filiation jusqu’à notre ancêtre commun. On peut y voir les prophètes et les patriarches, qui s’y épanouissent. Les saints et les mères qui guident. Les enfants et les autistes qui y jouent, dans leur cabane rudimentaire. Oui, nous avons tous la même origine, la même souche, la même sève. Au pied de cet arbre, vieux de plus de 5240 ans, une éternité, nous y cherchons et quémandons notre Salut. Ô Toi arbre de vie, entend, ressens, caresse donc ce vent qui vient bruisser son feuillage, faire tomber les décrets. Ce vent qui n’est que le chuchotement de Dieu à celui qui sait se faire silence.
Ô pauvre qu’il est. Il a passé sa vie à essayer de cacher, à gommer, à effacer, à faire taire ce qu’il est. Essayer de ressembler aux autres, à chercher leur consentement, leur admiration, leur bénédiction, leur satisfaction. Il s’est épuisé à fuir ses propres imperfections. Encore et encore une fois de plus, les ruses de son ego étaient à l’œuvre. Cet ego qui vous pousse à vouloir ressembler ou plaire aux autres, à être regarder, à être admirer, à chercher votre droit de vivre ou d’être. Cet ego qui danse et tournoie autour de vous, de manière lancinante, et finit par vous étreindre et vous donner le baiser de la mort.
Regardez cet arbre. N’y a-t-il pas « des signes pour ceux qui réfléchissent » ? Des indices pour ceux qui savent ? Des « traces de lumière » pour ceux qui aimment ?
Les arbres ainsi que toute la nature nous indiquent l’existence ou la vérité d’une profonde perfection. Ce que l’homme voit comme des choses imparfaites, inachevées, inabouties, toutes ces choses qui ne répondent pas un idéal ou un standard esthétique, intellectuel, moral, ne sont en vérité que des imperfections. Elles respectent toute, sans faillir, sans révolte, sans égarement, un ordre établi pour être en harmonie et en équilibre avec le visible et l’invisible.
Là où l’ego voit l’aléatoire, l’imparfait, l’improbable, le hasard, l’ammour y décèle le Décret, la perfection, la beauté : Dieu.
Comment ne pas témoigner de la géométrie divine ? Terre, Lune, Soleil, iris, cellule, ovule, atome, graines, grains de chapelet. Rien que des sphères, forme géométrique parfaite.
Comment ne pas s’émerveiller de ces spirales d’or, de cette perfection infernale, hypnotique, des pétales de fleur, des becs griffés, des dents, des cornes, du tournesol, de l’escargot, du fourmillon, des toiles d’araignée ou des vagues.
Son arbre est devenu un arbre-monde. À son contact, il découvre la vie. Au contact de la vie, il se découvre lui. Au contact de lui-même, il se transcende et comprend qu’avancer dans la vie impose la symétrie.
Cette correspondance exacte de vibration de part et d’autre d’un axe, d’un plan, d’un point, d’un centre, d’un Tout. Son arbre-monde n’est rien d’autre que son miroir.