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Poétiser le monde, les âmmes et les hommes

1h16

1h16 à parler, dire, causer, jaboter, débiter, palabrer. 1h16 à discourir, discuter, jaser, raconter, révéler, disserter, balbutier. 1h16 à énoncer, déclamer, converser, s’épancher, parloter. 1h16 à baragouiner, dialoguer, radoter, rabâcher, s’exprimer, à essayer de communiquer. 1h16 à se confier, à soliloquer, à vider son sac, à jargonner, à haranguer, à jacter. 1h16 à essayer de ne pas mourir de silence.

1h16 affichée sur sa montre qui lui sert, non pas uniquement à mesurer le temps, mais aussi à évaluer la distance pour ne pas dire la valeur de l’autre. Oui, dans son univers, tout est fini, tout à un prix, tout à une valeur, tout se mesure, tout se quantifie, tout se pèse. Plus il compte le temps et plus il s’appauvrit. Non, le temps ce n’est pas de l’argent. Illusion, foutaise, subterfuge inventé par ceux et celles qui ont peur que le temps les prennent, que le temps les perdent. Le temps n’est rien d’autre qu’un compagnon, parfois salvateur, parfois encombrant, qui vous rappelle que votre éternité s’écrit dans votre brièveté, dans votre instantanéité. Il vous rappelle que votre durée de vie est aussi longue que celle d’une goutte d’eau tombée sur le sol aride à Dasht-e-Lout. Ce compagnon, qui vous rappelle que le temps, lui-même compte ses propres jours.

Finalement qui est-il ?

Il peut être absolu ou relatif. À l’image des relations que nous tissons et entretenons avec les mondes, qu’ils soient visibles ou naturellement sensibles. À l’endroit même où nos perceptions nous trompent et se jouent de nous. Les années s’écoulent-elles comme des secondes ? Vraiment ? Alors pourquoi souvent des secondes paraissent interminables ?

Il peut être cosmique ou universel. Il est alors ce rappel permanent, l’invitation insistante, le bruit d’une montre à ressort qui vous catapulte des évidences. Comme celles de ces rares et précieux êtres qu’on ressent connaitre depuis toujours. Des êtres dont le cœur serait façonné par des lambeaux de notre propre chair. Non pas qu’ils seraient un autre soi, mais qu’ils sont juste soi. Non pas la partie manquante de ce que vous êtes et qu’on appelle par défaut l’autre moitié. Mais cette part de vous qui vous révèle à vous-mêmes et vous démontre, sans artifice, sans intérêt, sans rien attendre, que vous êtes finalement un être complet.

Il peut être mort, faible ou fort. Il rythme alors notre existence. Les battements du cœur calibrent sa fréquence. Chaque bruit du cœur, chaque respiration sont alors la musique, la bande son, le chant, le cri du temps. Dans ce rôle qui lui est assigné, depuis sa création, il devient et s’affirme comme unité de mesure et comme mesure de l’unité.

Unité de mesure, mesure de l’unité qui, dans une continuité et une succession, homogène, céleste, tellurique et astrale, définit alors les êtres et les choses, leurs rapports, leurs relations, leurs convergences, leurs nombreuses aspirations et leur unique finalité.

Une finalité qui fait du temps un être aussi. Un être qui ne se prend pas, ne se perd pas, ne se gaspille pas, ne se gagne pas, ne se passe pas. Bien au contraire, il finit par accepter sa condition. Résigné, abandonné, il finit par se libérer dans son anéantissement. Une froide liberté retrouvée, entre quatre planches de bois. Son espace vital.

C’est même peut-être cet espace, cet intervalle, ce laps, cette portion, ce fragment qui donne toute la saveur et la grandeur d’une vie. Là même où l’écoulement se confond avec la fuite, là où les battements de cils, bien qu’ils se ferment, ouvrent les cœurs et ferment les bouches. Un préalable nécessaire et impérieux pour accueillir avec dignité et seigneurie cet Ammour offert comme un présent, vécu comme un sacerdoce et chanter comme un chant de guerre.

Le temps. Une bien curieuse créature qui se joue souvent de lui. Un, deux, trois, onze, quarante, cinquante, cent ans, peu importe, nous sommes tous les enfants de l’instant. Croyants ou non croyants, statiques ou en mouvements, endormis ou éveillés, matures ou en devenir, riches ou appauvris, hommes ou femmes, soumis ou rebelles, sédentaires ou nomades, nous le sommes tous. Sans aucune exception, aucune discrimination, aucun passe-droit, aucun privilège. Oui, nous sommes les témoins sourds et aveugles des chocs cosmiques au-dessus de nos têtes. Là où des univers entiers naissent et meurent. Oui, nous sommes des privilégiés silencieux et souvent ingrats, de cette fureur de vie qui se joue dans nos entrailles, dans nos cellules, dans nos atomes. Dans tout ce que nous voyons pas. Un jour, ils témoigneront.

À chaque souffle, nous mourrons et nous ressuscitons. À chaque souffle, nous tombons et nous nous relevons. À chaque souffle, nous éteignons le feu du pouvoir et ravivons celui du vouloir. À chaque souffle, nous nous voilons et nous nous dévoilons. Non pas pour faire l’ammour, mais pour voir notre nudité. Celle qui fait de nous l’ammour.

Fragile argile qu’il est, il se dit qu’avec le temps qui passe ou plutôt lui qui passe dans le temps, que les secondes, les minutes, les heures sont trop lourdes pour voyager. Qu’il devrait se dépouiller de ses certitudes et de ses peurs, traduction insidieuse de son ego, nourrit par leurs affects et leurs politesses. Oui, il doit se dépouiller, doucement, douloureusement jusqu’à découvrir que le temps n’est rien d’autre qu’un rappel immédiat et constant de l’éternité de Dieu.

Jusqu’à ne plus faire de différence entre la prière sur le Temps et le temps de la prière.

Jusqu’à qu’il admette que croire c’est greffer de l’éternité dans sa vie. Que croire, c’est mettre sa vie dans l’Eternel.

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