Sommets de montagnes, cathédrales, minarets, tours et gratte-ciels, pyramides, monuments gigantesques, fusées, avions, navettes, montgolfières, conquête de la Lune, échelles, arbres ou simples échasses. Autant d’édifices, d’instruments, de constructions naturelles ou humaines pour toucher le ciel, tutoyer les étoiles, dominer le monde ou se rapprocher de Dieu.
Depuis que l’homme a conscience de lui-même, il ne cesse de chercher. Chercher son Créateur ou chercher à s’en émanciper. Chercher des réponses à ses questions ou des questions à Ses réponses. Tout est finalement question de quête mais aussi et surtout d’intention. Que cherchons-nous et pourquoi nous le cherchons ? L’intention seule confère à notre recherche, soit de la profondeur ou de la hauteur d’âme, soit de la superficialité de nos êtres , cette superficialité qui colle à notre peau comme un goudron noir en pleine nuit noire.
Ériger, construire, arpenter la verticalité pour chanter la nature miraculeuse de la vie, sa fragilité pour ne pas dire sa préciosité, louer son caractère beau, n’est en rien comparable à ériger, construire arpenter la verticalité pour mieux asseoir notre horizontalité sur le monde et les hommes. L’une nous rappelle notre humble condition et immense responsabilité, celle de l’homme, inclus dans la création et pas en dehors ou au-dessus d’elle. L’autre, cherche à nous en extraire pour affirmer une quelconque supériorité sur la création, et peut être même sur le Créateur. A l’endroit même où la responsabilité devient autorité, où l’adoration devient domination.
Cette quête absolue d’altitude pour « voir le monde ou le prendre de haut», peut nous conduire à une forme d’ivresse. A une sorte de schizophrénie insidieuse, à l’image de ces hallucinations auditives et visuelles, de cette perte de toute rationalité, celles vécues par des alpinistes en haute et extrême montagne.
Lui, il a essayé de gravir les montagnes en quête de sérénité et de quiétude, accomplir l’impossible pour s’accomplir, atteindre le point culminant de sa terre pour caresser la douce illusion d’être proche de Dieu. Dans sa quête d’absolu, il a eu même le privilège d’atteindre le sommet de la flèche unique de la Cathédrale de Strasbourg à l’occasion du millénaire de sa fondation. Cette Cathédrale, qui pendant plus de deux siècles, fut le plus haut édifice du monde avec ses cent quarante-deux mètres de hauteur. A l’échelle du monde, c’est peu de choses, à l’échelle d’une vie, ça vous transfigure.
Il se surprend même à se dire qu’il candidaterait bien à ces appels lancés par quelques milliardaires à faire partie des premiers touristes de l’espace. Mais il craint que sa quête de Dieu ne soit finalement qu’une recherche de postérité, une façon de flatter encore un peu plus son ego, de prendre des risques pour paraitre courageux aux yeux des autres, une soif de liberté, pas si libre que cela finalement, car soumise à notre propre affect.
Mais quand son âme reprend le dessus, il sait qu’aucun point, aussi culminant soit-il, ne le rapprochera de Dieu. Les monts et les merveilles ne pourront lui procurer cette béatitude promise en Sa proximité. Il le sait depuis toujours. Depuis sa tendre enfance, où il se posait la question de pourquoi prier pour demander des faveurs à Dieu alors qu’on pourrait simplement demander Dieu ? Il sait comme disait Victor Hugo « qu’il y a un spectacle plus grand que la mer, c’est le ciel; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c’est l’intérieur de l’âme ».
Cette âme à laquelle il rajoute volontiers un m pour l’écrire âmme afin de lui redonner une dimension absolue. Cet absolu où tout devient miroir, où cette âmme reflète les hommes, les cœurs, les visages qui sans, effort, s’élèvent et s’étreignent subtilement en Dieu. Cette âmme qui contient l’univers tout entier puisqu’elle peut contenir Dieu dans son infini et son éternité.
Il sait que cette âmme pour s’élever n’a nul besoin d’escalader une paroi, de gravir un sommet, de se hisser sur les toits artificiels de nos modernes tours de Babel ou de se greffer des ailes de métal pour voler et s’extirper de la gravité.
Il sait aujourd’hui, en ce 11 mars, que la seule manière de s’élever, est de se prosterner. Il est rapporté d’ailleurs que c’est dans cette position, d’effacement de soi-même, qu’on est le plus proche de Dieu. Pour approcher ardemment le Tout, il faut constamment s’approcher du rien. Cette position, traduction du plus grand courage et de la plus grande des libertés est une position qui lie ou relie le corps à l’esprit, le visible à l’invisible, le céleste au terrestre, le sensible au vrai, l’humain au divin.
Il sait, en ce 11 mars, que sa Divine Comédie s’écrit un peu plus sur sa peau, qui lui rappelle qu’il est à mi-chemin de sa vie, là où la raison ne suffit pas, là où la foi devient proximale, vitale et d’une impérieuse nécessité.
Il sait ou plutôt il aspire à que tout de lui soit prosternation. Son corps, ses membres, cinq fois par jour, ses yeux à chaque battement de cils, ses lèvres à chaque silence, son souffle à chaque expiration, sa peau à chaque frissons. Alors que d’autres, occupés à chercher de la consolation chez les mortels, à essayer d’exister dans le regard de leurs semblables et à qualifier sa quête comme un mirage, lui, il sait comme les nomades, les illettrés et les enfants que « la prière est l’ascension céleste du croyant ». Il sait que la cime de son âmme est le siège de l’apaisement, là où l’union avec Dieu ne nécessite ni définition, ni description.