Depuis quelques minutes, je ne fais que tourner en rond sur cette place de la République anciennement nommée la Kaiserplatz, littéralement place impériale,en référence à son passé allemand. Je tourne, à essayer de comprendre le monde qui m’entoure, à rechercher la lumière et la clarté, derrière les ombres de ces édifices et les fantômes de mes souvenirs.
Natif de cette ville, Strasbourg, j’ai grandi à l’ombre de mon immeuble HLM, cette ville meurtrie par la folie des hommes,mais une ville toujours libre par la grandeur de ces hommes et ces femmes, dont l’âme précède toujours le corps. J’y arpente depuis toujours les rues où chaque flaque d’eau m’apparait comme un miroir. Trou de terre, moi j’y vois un reflet d’un trou de ciel.
Tout autour de moi, des édifices majestueux, qui à l’instar de la Cathédrale, sont des livres à ciel ouvert. Oui, l’architecture est un langage. A l’image des nervures de mon cœur. Après tout le langage du cœur se passe bien de celui des mots. Il suffit d’être attentif aux autres et attentionné à soi.
Sur cette place circulaire, je m’imagine aisément être l’aiguille d’une boussole. Les quatre monuments, mes points cardinaux comme mes quatre points d’éternité à jamais sur ma peau.
Je m’arrête devant le Palais du Rhin, ancien palais impérial et aujourd’hui siège de la Culture. La Culture, ce chemin, non pas le plus aisé, le plus rapide, le plus évident de l’humain vers un autre humain, mais incontestablement, il est ce chemin où pour s’enrichir, il faut accepter de s’appauvrir. Accepter d’ôter son masque, accepter de se mettre à nu, accepter d’être, accepter de ne plus jouer.
Jouer, comme tous et toutes ces apprenti-es acteurs et actrices, ces comédiens et comédiennes du Palais de la diète, aujourd’hui Théâtre National de Strasbourg. Temple du spectacle vivant, le théâtre est le miroir de ce que nous rêvons d’être et de ce que nous fuyons. Moi, je ne rêve plus, je ne fui plus. Je me contente juste de dévoiler mon âmme, comme on dévoile une œuvre à la fois dramatique, lyrique, chorégraphique, onirique et osons même le terme, de romanesque. Une œuvre qui nait et meurt à chaque lever de rideau. Rouge.
Rouge, cette couleur du coucher du Soleil qui vient caresser la façade majestueuse de cette Bibliothèque nationale et universitaire. Siège du savoir, de la connaissance et de l’écriture, elle invite, avec ces près de quatre millions de documents, à plonger dans les entrailles de nos histoires, à effleurer la foisonnante production humaine, à voyager de l’antiquité à notre modernité. Un jour, j’y déposerai mon livre. Ce livre dont chaque page, chaque feuille, chaque mot, chaque caractère, chaque espace, chaque vide n’ont qu’une seule et même finalité, celle de témoigner, contre vents et marées, contre trahisons et injustices, contre illusions et options B, que l’Ammour s’écrie et s’écrira toujours avec deux m.
Quant au quatrième et dernier édifice, sur cette Place de la République, je viens à peine d’en deviner l’ombre et la perspective. Pour le décrire, sans le trahir, sans le souiller, sans le piétiner, il faudra que je m’arrête de tourner, de tourner en rond.