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Poétiser le monde, les âmmes et les hommes

Syncope

Devant cette page blanche, toujours le même vertige, le même effroi, le même combat. Une palpitation frénétique, la tête serrée dans un étau, une migraine foudroyante. Il sent toute sa poitrine s’ouvrir et se fermer. S’ouvrir et se disloquer. Le soulever et le faire tomber. Comme une vulgaire marionnette, un pantin désarticulé, une poupée de chiffon. Il perçoit même les soubresauts de son cœur. Un état où s’impose à lui, le même questionnement oppressant.

Doit-il se livrer ou non, se dévoiler ou non, s’offrir ou non, se laisser entrer ou non ? Une seule et unique question. Se mettre à nu ou rester caché ? Aigri, frustré derrière ses vêtements, mécontent de lui-même et des autres, incapable de trouver sa place, cette question l’obsède depuis toujours, depuis ses onze ans. Depuis ce jour où il se frappa, volontairement la tête contre un mur, pour se libérer de ce fardeau. Et depuis, il continue à se frapper la tête contre un mur, contre le sol, entre ses mains. Toujours la même question, le même dilemme. Et si finalement, ce n’était qu’une question de désir ou plutôt de désirs au duel. Cela pourrait expliquer cet affrontement, ce vertige, ce complexe, cette dualité en lui, qui l’enserrent depuis son enfance.

Écartelé, déchiré, suspendu entre lui et lui-même, il livre ce combat, son combat. Le plus délicat et impérieux de tous les combats. Il aurait préféré parfois ne pas être et parfois plutôt affronter une armée, une légion, combattre sur tous les fronts, étendard et sabre à la main. Tellement facile de combattre les autres. Tellement facile d’accuser les autres. Tellement facile. Mais soi-même, c’est une autre affaire. Une bataille qui cesse chaque nuit, pour recommencer, plus violente, plus sanglante le lendemain. Aucun endroit pour se cacher, aucun chemin pour fuir. Même pas de drapeau blanc à brandir.Condamné à mourir et à vivre chaque jour.

Dans ce duel à mort, il affronte une partie de lui, peut-être la plus présente, la plus flamboyante, la plus oppressante. Cette part, animée par ce désir si humain, qui fait de lui un humain. Ce désir qui traduit un mouvement instinctif, animal, profane, un manque, une frustration ou une incomplétude. Il vous fait sien et peut même vous asservir. Une emprise voulue et volontaire où l’otage se confond avec la ravisseur. Nous devenons alors, non pas le sujet, mais l’objet du désir. Un désir aveugle, fugitif, incessant, ardent, intense, irraisonné. Il fait de nous un fugitif, un hors la loi, un bandit sans grands chemins pour ne pas dire sans aucun chemin. Ce désir n’existe que dans la quête critique et coupable de l’excès. Une sorte de quête de l’horizon. Plus on s’approche et plus il s’éloigne. Et plus il s’éloigne et plus on le poursuit.

Son autre partie, qu’il considère si modeste, est consumée par un autre désir. Celui qui vous rappelle votre dimension céleste. Celui qui se manifeste à l’évocation de son Nom, qui hérisse vos poils, une fois le front posé au sol, celui qui vous ressuscite à chaque grain, celui qui vous grandit une fois prosterné.

Ce désir, dont les racines plongent dans le désert, vous transfigure, vous transmute, vous transforme, vous transe tout court. Là où les autres voient une pierre noire, lui il y voit de la Lumière. Là où les autres voient un ciel bleu, lui il y voit un océan de sang suspendu. Là où les autres voient des êtres et des corps, lui il y voit des peaux et des parchemins. Et c’est bien par ce désir, qu’il se dit, que sur les peaux de ces hommes et de ces femmes qui ont jalonné sa vie, il y apposerait et y tatouerait bien, un minuscule point, à l’image d’un point de Braille.

Point d’exclamation, d’interrogation ou de suspension, point faible ou fort, point sensible ou névralgique, point d’eau ou de ralliement, point mort ou d’intersection, point commun ou d’appui, point de rosée ou de suture, point final ou de vue, il se dit que sa mise au point c’est mettre bout à bout chaque morceau de ces peaux afin de dévoiler, ses quelques mots, inspirés lors d’une de ses imparfaites invocations nocturnes :

Lis, par le Nom de ton Seigneur qui a créé,
Lie l’Ammour à sa poitrine ensanglantée
Lit de mort, lève-toi, marche et vas chanter

Ce texte est son chant de signes, sa « la plainte du roseau ». L’hymne d’un désir qui réconcilie sa dimension féminine à sa dimension masculine. Un désir, libéré de toutes formes et de toutes frontières. Un désir de silences incantatoires, de mouvements dans l’immobilité, d’élévation dans l’abaissement, de certitudes émaillées de terribles de doutes, d’apaisement traversé par la quintessence de la douleur, du « Trésor caché » enfin retrouvé. Un désir comme antichambre de son hapax existentiel. Un état qui lui fera naitre ses méditations, ses écritures, ses conversations, ses réflexions, dont la syncope ammoureuse l’amène à s’exclamer, dans une folie retrouvée et une errance apprivoisée :

« Silence, j’écris ! ».

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